J'avais découvert
David Fakenham un peu par hasard, en 2009, grâce à une chronique de son album "Here
And Now" par l'estimable Jacques-Éric
Legarde (Xroads #18) qui sortait en l'occurrence quelque peu de son registre
habituel, plutôt dédié aux songwriters américains.
Un téléchargement et
quelques écoutes plus tard, j'étais moi aussi séduit par cet artiste mystérieux
mais dont le nom fleurait bon le pseudonyme, reposant sur un jeu de mots
bilingue.
Un dimanche soir à
Paris, c'était le 24 janvier 2010, David ouvrait à la Pomme d'Ève pour Bill
Morrissey dont ce devait, hélas, être la dernière apparition en nos contrées. Armé
de sa guitare en bois, un peu intimidé, le jeune homme nous donna un aperçu de
son talent dans un registre de folksinger, reprenant même avec brio "Ring
of Fire" de Johnny Cash (composition de June Carter et Merle Kilgore) et
démontrant une belle culture musicale, capable de se transformer de touche à tout de studio et de talent en troubadour capable de séduire son public
(malheureusement bien trop clairsemé) en face-à-face.
Il y a quelques
mois, après un single deux titres simplement intitulé "2 Songs"
destiné à faire patienter ses fans, il faisait entendre à quelques privilégiés
son nouvel enfant, "One Thing Remains" (doté d'une illustration qui
devait évoluer par la suite).
Ce nouvel
enregistrement avait encore une fois été réalisé, au départ, selon le principe du DIY.
David avait mis en boîte l'essentiel de ses contributions, chez lui, en août
2011. Et puis l'ami Matthieu Malon (Laudanum) était venu avec ses claviers pour
enjoliver quelques titres, Pierre Schmitt avait joué quelques parties de basse.
Après l'apport des amis et de la famille (Joao Lourenco à l'harmonica, Junior
Fakenham à la trompette, Marie Chevalot et Nine Fakenahm aux voix), il ne
restait plus qu'à mixer le tout, ce que Patrick Chevalot et David firent en
deux fois deux jours en février 2012.
Voilà pour
l'histoire du disque qui est, je le proclame, d'une grande qualité, ce que j'ai
ressenti dès la première écoute. Il n'est pas facile d'en parler sans s'en être
bien imprégné, car c'est un album qui se découvre petit à petit, que l'on ne
peut pas se contenter d'entendre distraitement en vaquant à d'autres
occupations.
La grande manie des chroniqueurs français, lorsqu'ils écrivent à
propos d'un de leurs compatriotes qui s'exprime en Anglais, c'est de vouloir à
tout prix faire des comparaisons. J'ai lu ici et là des évocations d'artistes
que je connais bien (Byrds, R.E.M., Neil Young) ou beaucoup moins bien, voire
très peu (Wilco, Lambchop) et je dois dire que tous ces parallèles ne me
semblent justifiés qu'en un point: la qualité, celle des mélodies mais aussi celle
du son car on a ici affaire à un "produit" qui ne sent pas du tout le
bricolage.
La seule référence
que je me permettrai ici est celle du duo franc-comtois Yules avec qui David
Fakenham partage une grande culture musicale (l'héritage familial sans doute)
et aussi ce goût pour la mélodie et les arrangements toujours justes, jamais
surabondants, jamais trop sophistiqués. C'est le travail d'artisans qui
remettent l'ouvrage sur le métier jusqu'à être satisfaits du résultat, c'est l'œuvre
de musiciens qui aiment la musique, tout simplement.
Pour évoquer plus avant
le contenu de "One Thing Remains", je dirai que c'est un disque qui
possède une ambiance (mais pas un disque d'ambiance, nuance), qui présente un
remarquable équilibre entre les morceaux, parfois d'une sombre beauté, parfois
plus légers, mais toujours prenants. Dès "Bones", le titre
d'ouverture, on comprend l'esprit dans lequel l'album a été réalisé, comment
les instruments se complètent les uns les autres, comment les claviers de
Matthieu Malon viennent apporter cette touche supplémentaire qui fait la
différence.
Au long des douze
plages, l'impression initiale est confortée, tout est juste, tout se met en
place petit à petit. C'est comme si David avait réalisé les fondations de
l'édifice, posé la première pierre avant que l'ensemble ne se mette à évoluer de
lui-même, mû par une énergie propre, entraînant le créateur autant que le
créateur ne l'entraîne. David confirme par ailleurs qu'il est un multi-instrumentiste de talent qui se double d'un chanteur inspiré et subtil, tout en délicatesse.
Il y a de vrais
moments forts dans cet ensemble finalement homogène et sans point faible. Mes favoris
sont "Nina", une ballade
émouvante, pleine d'âme et "You're My Woman", long morceau presque
épique porté par une guitare majestueuse. Il y a aussi les titres plus légers (au
moins dans les arrangements, mais pas dans la consistance) comme
"Beautiful Guitar", l'instrumental "27" ou "One Thing
Remains"qui permettent de maintenir une tonalité générale ne basculant pas
trop vers le côté sombre.
Je ne peux donc que
vous inviter à vous rendre sur le site de David pour tout savoir sur "One
Thing Remains", et notamment comment se le procurer (en téléchargement
uniquement pour l'instant).
On était en juin 1983 et
Steve Satterwhite, ingénieur du son réputé, avait investi ses dernières
économies dans son rêve: un studio d'enregistrement équipé d'un Scully 8-pistes,
quelque part à East Village, Fourth Street.
Il lui fallait maintenant un
artiste à enregistrer. Il passa donc une annonce et, trois jours plus tard, un
type à la chevelure abondante, un carnet de notes garni de chansons à la main,
poussa la porte.
Son nom était Billy Marlowe.
Il avait 40 ans et sa vie n'avait pas été un conte de fées, loin de là. Elle
l'avait conduit de l'Oklahoma, où il était né, à San Francisco, à Louisville et
Baton Rouge, et même Bruxelles et Amsterdam, sans parler de la case prison où
la drogue, l'alcool et, surtout, l'insoumission l'avaient mené.
Steve Satterwhite fut
immédiatement convaincu par ce qu'il entendit et fit appel à quelques musiciens
talentueux du secteur qui semblaient tous connaître Billy. Le nom le plus
célèbre aujourd'hui était celui de Shawn Colvin et (voix) , mais il y avait aussi Stephen
Gaboury (claviers), Jeff Golub (guitare), Kenny Kosek (violon), Tony Garnier
(basse)… Bref, du beau monde.
Les arrangements,
l'enregistrement, tout cela prit plus d'un an. Dix titres furent finalement mis
en boîte, des cassettes et quelques 33 tours furent réalisés, sans véritable
plan de promotion ou de large diffusion. "Show Me The Steps" était
en fait une maquette élaborée, et tout resta en l'état.
L'époque (encore une
fois merci aux modes punk et disco qui ont tué la véritable création) n'était
vraiment pas favorable aux poètes songwriters. Billy Marlowe faisait partie des
meilleurs, et très peu de gens en prirent conscience. Un quart de siècle plus
tard, avec l'évolution de la production indépendante de musique, les choses
auraient vraisemblablement été bien différentes.
Billy retourna donc à
l'anonymat, composant et chantant ses chansons, continuant à se battre avec la
vie, qui lui donna cependant la joie de la paternité (une fille et un garçon),
jusqu'à ce jour d'août 1996 où il mourut, à 53 ans.
Steve Satterwhite n'a pas
oublié Billy Marlowe. Pas loin de 30 ans après le jour où tout commença, il donne enfin au
monde la chance d'entendre "Show Me The Steps". Il serait
dommage de s'en priver. De grands, textes, de belles mélodies, une voix qui
vous prend dès les premières notes. Le son est assez caractéristique de ce que
l'on entendait au début des années 80 et nous laisse le regret de de n'avoir pu
feuilleter que le premier chapitre d'un livre qui s'annonçait passionnant.
Voici ce qu'à déclaré sa sœur:
« Billy était un perpétuel optimiste, contre toute raison; il riait des ironies
de la vie et les appréciait, même quand elles ne lui étaient pas favorables.
Il aimait et respectait ses parents; il était infiniment tolérant vis-à-vis des
tours que lui jouait la vie; il aimait profondément ses enfants. Il a
vécu une vie difficile. Il était excessivement humble et excessivement
talentueux. Quelques heures avant sa mort, il a dit à son fils Marlowe, “j'ai
écrit quelques bonnes chansons. Je suis prêt à partir”. »
Billy Marlowe "Show Me The Steps" - NewTex Records NT6000
Disons le tout net, cet album de John Prine ne figure pas parmi ses meilleurs. L'idée était bonne, pourtant: enregistrer dix titres aux légendaires Sun Studios de Sam Phillips. La production fut confiée aux fils de Sam, Knox et Jerry Phillips, Sam prenant lui-même les manettes pour deux titres ("Saigon" & "How Lucky").
Ce qui pêche, en fait, dans cet album, c'est le choix des titres. John Prine, jusque-là, a toujours davantage été un songwriter, interprète de ses propres œuvres, limitant les reprises au strict minimum, alors qu'ici la moitié des titres est empruntée à d'autres.
Bien sûr, le choix des reprises n'est pas forcément mauvais comme en témoignent "This Cold War With You", ballade sentimentale de Floyd Tillman, "Baby Let's Play House", un rock qu'Elvis avait lui-même enregistré dans les studios Sun ou encore "Killing The Blues" de Rolly Salley.
Mais John n'est jamais meilleur que lorsqu'il conte ses propres histoires et, au volant de sa "Pink Cadillac", il semble un peu en dehors, plus spectateur / auditeur qu'acteur / interprète. Il n'est pas véritablement à l'aise non plus (ou est-ce l'auditeur qui n'est pas habitué) avec la formation qui l'accompagne, formatée aux normes des studios Sun des années 50, c'est à dire un groupe de rock: guitare, basse, batterie, claviers (et saxophone).
Cela étant, cet album fait partie intégrante de la discographie de John Prine et, de sa part, un disque moyen reste un bon disque. Et puis, à l'époque où il est sorti, eu égard à la difficulté de trouver ce genre d'album (et même d'être informé de sa simple existence) dans nos provinces reculées, il aurait été inconvenant de bouder son plaisir!
1- Chinatown (John Prine)
2- Automobile (John Prine)
3- Killing the blues (Rolly Salley)
4- No name girl (Billy Joe Riley / Jack Clement)
5- Saigon (John Prine / John Burns)
6- Cold war (This cold war with you) (Floyd Tillman)
7- Baby let's play house (Arthur Gunter)
8- Down by the side of the road (John Prine)
9- How lucky (John Prine)
10- Ubangi stomp (Charles Underwood)
John Prine: Rhythm Acoustic & Electric Guitars, Lead Vocals
Tom Piekarski: Bass
Howard Levy: Keyboards, Harmonica, Saxophone
John Burns: Lead Guitar
Angie Varias: Drums
additional musicians
Jerry Phillips: Rhythm Acoustic Guitar on "Baby Let's Play House", Sandpaper Blocks on "No Name Girl"
Leo LeBlanc: Pedal Steel Guitar on "Ubangi Stomp", "Cold War", "Down By The Side Of The Road"
Billy Lee Riley: Rhythm Acoustic Guitar, Vocal on "No Name Girl"
Phyllis Duncan, Helen Bernard, Beverley White: Vocals on "Killing The Blues", "Down By The Side Of The Road"
Mardi 16 Mars 1993, À la Clé de Sol, Châlons sur Marne
C'était un époque bénie où existaient encore quelques disquaires. En l'occurrence, il s'agissait ici d'un magasin électroménager avec un rayon disques bien achalandé, même si son responsable ne connaissait pas toujours bien ce qu'il vendait (mais les clients le formaient, petit à petit).
Il y avait même une rangée étiquetée "country music" avec principalement ce qui était le plus vendable, donc pas ce que Nashville proposait de mieux. Les maisons de disques, même en France, faisaient quelques efforts pour promouvoir ce genre qui, grâce aux néo-traditionnalistes, retrouvait un certain succès, éphémère. Et puis, de temps en temps, il y a avait un disque qui sortait du lot, parfois peut-être un disque de bluegrass.
Il y avait surtout ce CD qui m'intriguait: "After Awhile" par un certain Jimmie Dale Gilmore dont je n'avais jamais entendu parler. Un disque distribué en France par Elektra Nonesuch dans les American Explorer Series.
Plus d'une fois, je l'avais retourné entre mes mains, lisant les notes, du moins ce qu'un disque scellé pouvait laisser entrevoir. Par chance, le nom des musiciens figurait au dos du boîtier et quelques noms connus comme Stephen Bruton, Tish Hinojosa ou Richard Bowden (tous fleurant bon le Texas), quelques instruments sympathiques (mandolin, fiddle, steel Guitar, dobro) finirent par emporter ma décision. Et puis, autre élément important, le disque avait été enregistré à Austin, Texas, pas à Nashville! Et me voici déballant le précieux objet pour l'insérer dans le lecteur CD de ma voiture; trois quarts d'heure de route pour rentrer du boulot, c'était la durée idéale.
Le premier effet fut la surprise en entendant la voix de ténor, haut perchée, nasillarde. Très country mais aussi très originale, elle aurait pu faire office de repoussoir. Et puis il y avait les mélodies, les rythmes, souvent de ces valses que les Texans adorent, une instrumentation hors pair... Bref, avant d'arriver, j'étais conquis.
Le soir, je parcourus avidement le livret avec cinq pages traçant la biographie de Jimmie Dale Gilmore. C'est ainsi que j'appris la brève existence, vingt ans auparavant, de son groupe, The Flatlanders, avec Butch Hancock et Joe Ely. Les Flatlanders renaitront par la suite, mais c'est une autre histoire. Ce qui est certain, c'est que ce disque, "After Awhile", m' aouvert des portes qui ne se sont jamais refermées...
Liste des titres:
1- Tonight I Think I'm Gonna Go Downtown (Jimmie Dale Gilmore / John Reed)
2- My Mind's Got A mind Of Its Own (Butch Hancock)
3- Treat Me Like A Saturday Night (Jimmie Dale Gilmore)
4- Chase The Wind (Jimmie Dale Gilmore)
5- Go To Sleep Alone (Jimmie Dale Gilmore)
6- "After Awhile" (Jimmie Dale Gilmore)
7- Number 16 (Jimmie Dale Gilmore)
8- Don't Be A Stranger To Your Heart (Jimmie Dale Gilmore / Rick Smith / David Hammond)
9- Blue Moon Waltz (Jimmie Dale Gilmore)
10- These Blues (Jimmie Dale Gilmore)
11- Midnight Train (Jimmie Dale Gilmore)
12- Story Of You (Jimmie Dale Gilmore)
Musiciens et chanteurs:
Jimmie Dale Gilmore / Stephen Bruton / Wes Starr / Keith Carper / James Pennebaker / Ponty Bone / Richard Bowden / Bill Ginn / Paul Glasse / Butch Hancock / Tish Hinojosa / Teddy Roddy / Jesse Taylor / Steve Williams
Discographie de Jmmie Dale Gilmore:
- En solo:
"Fair & Square" (1988)
"Jimmie Dale Gilmore" (1989)
"After Awhile" (1991)
"Spinning Around The Sun" (1993)
"Braver Newer World" (1996)
"One Endless Night" (2000)
"Come On Back" (2005)
"Heirloom Music" by The Wronglers with Jimmie Dale Gilmore (2011)
- Avec The Flatlanders:
"The Odessa Tapes" (2012, enregistré en 1972)
"All American Music" (publié en 1972 sous forme de cartouche 8 pistes, réédité par la suite sous divers titres comme "Unplugged" ou "More A Legend Than A Band")
"Live At One Nite, Austin TX" (2004, enregistré en public en 1972)
"Now Again" (2002)
"Wheels Of Fortune" (2004)
"Hills And Valleys" (2009)
- Avec Butch Hancock:
"Two Roads" (1990, enregistré en public en Australie)
Louis Ville, pour moi, c'est d'abord l'histoire d'une
rencontre qui n'aurait jamais dû se produire. D'un côté, il y a le responsable de ces lignes: Sam Pierre
(un pseudo), amateur de musiques américaines, fan de folk et de bluegrass, pour
qui la chanson française se résume essentiellement à quelques grands noms, de
Georges Brassens à Michel Jonasz, de Léo Ferré à Renaud, de Jacques Brel à Alain Souchon, de François Béranger à
Richard Gilly. De l'autre, Louis Ville (un pseudo), auteur-compositeur-interprète
d'origine vosgienne, totalement inconnu de ma personne et qui a pourtant déjà publié
quatre CD (je ne l'ai appris qu'ensuite) et décrit par la presse comme un Arno
français avec un côté Léo Ferré et quelques autres références. Rien de rédhibitoire
pour moi, bien au contraire, mais à quoi bon s'intéresser aux copies quand on
peut écouter tranquillement les originaux dans le confort de son salon, devant
une bière ou un Perrier selon ses goûts.
Mais voilà, il y a Bar le Duc, charmante préfecture du vert
département de la Meuse, qui organise chaque été les Dimanches du Parc dans les
jardins de son hôtel de ville. Des concerts en plein air (gratuits) qui
permettent d'entendre des artistes régionaux mais aussi d'autres à la renommée
nationale ou même internationale. En ce dimanche 7 août 2011, Louis Ville était
l'invité principal, précédé de Christophe Freyssac. Pas suffisant encore pour
me motiver mais un élément important est venu emporter la décision: le soleil!
Il faisait beau, sans quoi Louis me serait sans doute resté inconnu pour
longtemps.
Une première partie agréable, et voici Louis Ville sur
scène, dans ce kiosque à musique qui surplombe les chaises installées devant
lui. Un grand escogriffe aux pieds nus, mélange de timidité et d'assurance mais
qui, dès les premiers mots, dès les premières notes, dégage quelque chose de
rare. Un côté authentique, une gentillesse un peu bourrue qui entraîne
immédiatement la sympathie. C'est sans doute ce qu'on appelle le charisme. Le
concert démarre, les titres s'enchainent, et l'impression initiale ne se dément
jamais. Je cherche les références, forcément, je ne connais pas l'artiste!
Arno? Ferré? Bien sûr, il reprend "Vingt Ans", mais à sa manière.
Tout au plus, dans la construction de pas mal de chansons, je pense à Brel,
pour l'utilisation du crescendo qui est une des marques de fabrique du grand
Jacques. En fait, j'entends surtout un artiste original, aux textes très
personnels. Les mots sont parfois très crus mais sans jamais tomber dans la
vulgarité. L'humour est parfois délirant, parfois cruel mais la tendresse n'est
jamais bien loin. Des titres découverts ce jour-là se sont gravés en moi, dès
la première écoute: "Cruelle", "Marcello", "Le
chanteur", "Sans rien dire", "Aime-moi"… Une corde
casse, Christophe Freyssac prête sa guitare le temps de procéder à la
réparation. Et quand il revient, Louis se fend d'un commentaire humble et
admiratif devant la rapidité de l'opération. Le public, pas forcément fait
seulement de connaisseurs, est "dans sa poche".
Et c'est déjà la fin du spectacle avec comme le vague regret
de ne pas être allé rencontrer l'artiste, de ne pas être allé acheter
"Cinémas", son plus récent CD. Mais il y a, et c'est un sentiment fort, la
conscience d'avoir assisté à un vrai beau moment, d'avoir découvert un chanteur
talentueux et authentique mais, avant tout humain. Une porte s'est refermée,
c'est du moins ce que je crois.
En effet, quelques jours plus tard, dans un espace
commercial à vocation culturelle au centre de la capitale de la Champagne (aujourd'hui hélas fermé), où
je vais fréquemment flâner après ma matinée de travail, j'ai la bonne surprise
de découvrir "Cinémas" et, cette fois, je n'hésite pas. J'éprouve
bien sûr l'appréhension de ne pas retrouver sur CD la magie du concert, où Louis
était seul avec sa guitare. Sur le disque, peu de monde, mais une variété
d'instruments assez grande, Louis en assurant lui-même une grande partie. Le
son est différent, mais le charme opère néanmoins: Louis Ville est vraiment entré dans ma
vie musicale, et l'envie d'en découvrir plus est là.
Facebook et le hasard font le reste et ce grand réseau pas
toujours social joue en l'occurrence pleinement son rôle. Il permet de belles
rencontres, des échanges sur des passions communes. Et puis il permettra vite à
Louis Ville de faire savoir que ses trois premiers albums étaient réédités, et
à moi de les acheter, puis de constater sa gentillesse et sa disponibilité
quand je lui demanderai quelques informations sur lesdits albums.
En plus des CD, il y a de "De beaux riens", un
recueil de textes paru aux éditions Strapontin{s}. Un beau petit livre, bien
illustré, avec quelques lignes d'amis qui en révèlent beaucoup sur le
personnage et, entre les lignes, plus encore sur l'homme qui se cache derrière
l'artiste.
Quelques mois passent. J'ai quelques échanges avec Louis.
J'aimerais parler de lui sur mon blog, de son dernier disque, à l'occasion de
sa réédition ("Cinémas", augmenté de "Moteur!", un disque
bonus). Le principe d'une interview est posé. Facebook toujours, Louis annonce
ses concerts à venir et, ô surprise, je vois au programme un
"Chant' Appart" programmé le samedi 16 juin 2012, à quelques dizaines
de mètres de l'endroit où je passe mes weekends. Il s'agit en fait d'un concert
à la maison (les house concerts sont très prisés des artistes folk anglo-saxons
mais moins répandus par ici) organisé par et chez des amis de Louis Ville. Nous
décidons de nous rencontrer un peu avant afin d'échanger, de mieux faire
connaissance. Et je bénéficie par la-même d'une invitation pour le show.
Louis n'est pas seul. Il y a Yvanna. Et rien qu'aux regards
qu'ils portent l'un sur l'autre, je comprends l'importance de cette présence.
L'interview commence et devient vite une conversation à bâtons rompus avec un vague
fil conducteur, sans magnéto, juste quelques notes.
Louis parle de son enfance vosgienne, près de Remiremont, la cité des Abbesses, dans
une famille de cinq enfants, de ses parents qui lui ont appris la tolérance,
l'ouverture et qui ont permis son émancipation rapide. À 17 ans, Louis (qui ne
s'appelle pas encore ainsi) quitte la maison pour découvrir le monde, avec une
guitare payée par un premier job d'été. Il prend le chemin de Paris puis des
Alpes, va de petit boulot en petit boulot.
Louis avait commencé en musique avec la trompette
d'harmonie. Son adolescence avait été bercée par les Stooges, David Bowie, les
Rolling Stones. Pur autodidacte, il avait commencé à 12 ou 13 ans dans ses
premiers orchestres de rock garage. Et puis ce fut un groupe de jazz-rock,
nécessitant beaucoup de travail (le travail bien fait, encore une valeur héritée
de ses parents), et la vague punk.
Arrive ensuite la période Do It, vers la fin des années 80, un
groupe de rock british influencé par le mouvement punk mais, surtout, par le
Dr. Feelgood de Wilko Johnson et Lee Brilleaux. Quelques années plus tard,
Louis commence à écrire en français et se juge lui-même, en ce domaine,
"honorable". Il envisage alors de tenter l'aventure en solo, afin
d'explorer de nouveaux territoires plus personnels, et aussi d'éviter les
problèmes d'égo qui ne manquent jamais de survenir au sein d'un groupe qui
dure. Le virage est donc pris, définitivement, vers la fin du deuxième millénaire, avec la parution de l'album "Hôtel pourri".
Je demande à Louis quelles sont ses influences. Le rock,
bien sûr, Jacques Brel, Léo Ferré mais aussi, de manière plus surprenante,
Marianne Oswald, chanteuse et actrice née en Moselle (alors allemande), qui a eu son heure de
gloire, comme chanteuse, avant la deuxième guerre mondiale, chantant notamment des textes de Jacques Prévert. Louis a repris un de ses succès
"La chanson de Kesoubah", écrit par jean Tranchant, sur son album
"À choisir" en 2006.
Ce qui est certain, c'est que ces influences ont réussi à se
fondre pour créer une personnalité unique. Pour ma part, si l'on excepte le
crescendo "brélien" qui m'avait frappé en concert, je ne sens aucun tic piqué à
un autre artiste. Et Louis est conscient de parfois abuser du crescendo et
cherche à lutter contre cette tendance (qui est plus marquée quand il est en
concert, seul avec sa guitare). Je retrouve cependant en lui quelque chose du grand François Béranger, cette sincérité d'écorché vif, cette capacité à faire se rejoindre le rock et la chanson réaliste.
Autre question: comment se faire connaître sans renier ses
valeurs à une époque où cela n'est pas facile? Peut-on encore vivre de son art?
Pour Louis, il y a d'abord la scène: 80 concerts par an, dans un périmètre qui
s'élargit: Paris, la Provence, Toulouse, l'Allemagne… Des fidèles qui propagent
le message par le bouche à oreille. Et puis du culot, de l'ambition, une
capacité à conjuguer passion et talent. La radio et la TV chaque fois que c'est
possible. Des coups de main, comme ceux que lui a donnés Jean-Louis Foulquier
qui a cru en lui dès le début. Et internet, formidable fenêtre ouverte sur un
monde qui sommeille et ne demande qu'à s'éveiller pour peu que ce qu'on lui
propose en vaille la peine. Quant à la presse écrite nationale, petit à petit, elle est séduite par notre ami et, dans la quasi-totalité des cas, élogieuse.
L'artiste qui galère pendant des années pour vivre de ce
qu'il aime ne peut pas y parvenir seul. Pour Louis, il y a eu la rencontre avec
Yvanna, qui croit en lui plus encore qu'il ne croit en lui-même. Une véritable
complémentarité s'est instaurée entre eux, permettant à l'auteur-compositeur-interprète de se concentrer
sur son art, sans se soucier des aspects matériels, de la promotion et de
toutes ces choses qui dévorent l'énergie. Louis a retrouvé une véritable
confiance, celle qu'Yvanna a en lui et qu'elle lui a transmise. Une heure avec ces deux-là, à observer, sans pour autant échanger beaucoup de mots, permet de comprendre
tellement de choses. Yvanna, c'est aussi elle qui est à l'origine des clips (et
du concept des disques "Cinémas" et "Moteur!"), si bien mis
en scène et si bien réalisés, qui nous régalent sur la toile. Une bien belle
cohérence dans cette démarche.
Sur sa discographie (détaillée plus bas), Louis Ville dit ne
rien regretter, n'avoir honte de rien. En un peu plus d'une décennie, il y a eu
une évolution, une maturation. Depuis "Hôtel pourri", les révoltes se
sont apaisées. Il y a eu un cheminement, la vie n'est plus vue de la même
façon. Louis Ville dit: "J'observe mon âme". Sa principale source
d'inspiration est l'être humain: les amours, la bêtise humaine, les méandres,
les travers de nos congénères, et de nous-mêmes. Il ne se considère pas comme un poète. Il aime le travail bien
fait, celui d'un artisan, à la manière d'un Brassens, sans pour autant
s'interdire les fulgurances poétiques, fussent-elles malhabiles, qui le
rapprocheraient plus d'un Brel ou d'un Ferré. La sincérité, l'authenticité,
resteront toujours pour lui des valeurs fondamentales, le socle sur lequel son
œuvre se construira. Sur l'aspect musical, Louis se défend d'être un virtuose de
la guitare comme l'ont écrit certains. Il a (bien) digéré des influences
diverses pour forger une personnalité unique. "Ils se trompent, je fais ce
que j'ai envie d'entendre", conclut-il, en résumé.
Une observation personnelle: peu après l'entretien et le
concert "Chant' Appart", un déplacement professionnel assez long m'a
permis d'écouter en roulant la quasi-totalité (dans l'ordre) des titres publiés par Louis
Ville. Petit à petit j'ai été frappé par l'étonnante unité de l'ensemble. Des
titres différents en apparence, avec des orchestrations variées, reposent sur
quelque chose de commun qui apparaît d'abord comme quelque chose d'un peu
bancal, une petite musique intérieure, un rythme souvent marqué par des
percussions ou des cordes de guitare qui claquent et qui, en fait, constituent
ce que j'appellerai le style Louis Ville, qui fait de lui quelqu'un de véritablement unique, car c'est le style qui fait l'artiste.
Sur la réédition de "Cinémas", le disque bonus
était-il juste un coup commercial? "Non", se défendent en chœur
Yvanna et Louis, "le disque étant épuisé, nous avons eu envie d'offrir
quelque chose de plus". Ce quelque chose, c'est trois titres en duo avec
des amis (Mell, François Pierron, Marcel Kanche) ainsi qu'un titre de et en
hommage à la trop jeune disparue Danielle Messia. C'est en fait vraiment un cadeau, aussi bien pour les amis musiciens que pour les admirateurs.
Pour la scène, Louis Ville a envie de sortir de la formule
solo, trop limitée, et de faire le maximun de concerts en formule trio (avec
Mell à la batterie et François Pierron à la contrebasse). Quant au prochain
album, il est à l'écriture et espéré pour le printemps 2013.
Bientôt, c'est l'heure du "concert à la maison", chez
Dominique et Corinne que je ne remercierai jamais assez de nous avoir invités
pour ce qui était une fête familiale et amicale. La météo étant cette fois
défavorable, le garage se transforma en salle de concert. Après tout, c'était
un retour aux sources pour Louis… En tout cas, ce fut pour la vingtaine de
personnes présentes un bien beau moment de musique et de chaleur humaine, et
Louis donna encore beaucoup de lui-même, avec son talent, et ce trac
perceptible qui l'aide à se magnifier. Même en terrain conquis, il n'envisage
pas de ne pas donner le meilleur de lui-même. Bien sûr, ce fut trop court. Mais
un tel cadeau, c'est forcément un grand souvenir.
Titres chantés par Louis Ville à Chant' Appart, le 16 juin 2012
Cruelle
Il y a toi
Claudia
L'amour
Ne te retourne pas
L'Égyptienne
Et un
Épousez-moi
Hôtel pourri
De beaux rien
L'étincelle
Mr. Follow
Embrasse-moi
Y'en a marre
Le chanteur
Marcello
À choisir
Les ours
On maquille tout
L'amour (encore)
Discographie
Hôtel pourri (1999)
1- T'as qu'à venir
(Louis Ville)
2- Hôtel pourri
(Louis Ville)
3- Fantasmes (Louis
Ville)
4- Schyzo (Louis
Ville)
5- Merde (Louis
Ville)
6- Le temps (Louis
Ville)
7- Leçon de choses
(Louis Ville)
8- Fantôme (Louis
Ville)
9- Sister (Louis
Ville)
10- C... n'aime pas les dimanches (Louis Ville)
11- Kiki (Louis Ville)
12- Last one (Louis Ville)
Les Amants de St
Jean (León Angel / Émile Carrara)
Avec Patrice Hue / Daniel Hue / Élizabeth Schaffer
Une goutte (2003)
1- Aime-moi (Louis
Ville)
2- La lune (Louis
Ville)
3- Aujourd'hui
(Louis Ville)
4- Dis-le moi (Louis
Ville)
5- Pour tout ça
(Louis Ville)
6- Du bruit (Louis
Ville)
7- Et un (Louis
Ville)
8- Sa voix (Louis
Ville)
9- Cruelle (Louis
Ville)
10- BBB ta femme (Louis Ville)
11- Une goutte (Louis Ville)
12- Comme chaque fois (Louis Ville)
13- La dernière fois (Louis Ville)
14- Ploc Ploc (Louis Ville)
Avec Patrice Hue / Sylvain Legros
À choisir (2007)
1- L'amour (Louis
Ville)
2- Sentimentale
(Louis Ville)
3- Y'en a marre (Léo
Ferré)
4- La complainte de
Kesoubah (Jean Tranchant)
5- A choisir (Louis
Ville)
6- Loli (Wilfried de
Paris / Louis Ville)
7- L'etincelle
(Louis Ville)
8- Attends-moi
(Richard Rognet / Louis Ville)
9- Les ours (Louis
Ville)
10- Il le sait (Louis Ville)
11- L'ange (Louis Ville)
12- Nicolas (Louis Ville)
Avec Sylvain Legros / Patrice Hue / François Pierron /
Daniel Hue / Pierrot Moïoli / Bédette Ladener
Cinémas (2011)
1- Ne te retourne
pas (Louis Ville)
2- Il y a toi (Louis
Ville)
3- Cruelle (Louis
Ville)
4- Sans rien dire
(Louis Ville)
5- De beaux riens
(Louis Ville)
6- Embrasse-moi
(Louis Ville)
7- Épousez-moi 1
(Louis Ville)
8- Épousez-moi 2
(Louis Ville)
9- 20 ans (Léo
Ferré)
10- Marcello (Louis Ville)
11- L'Égyptienne (Louis Ville)
12- Tes yeux (Louis Ville)
13- Le chanteur (Louis Ville)
Avec Albert Boutilier / Patrice Hue / Ree Dong Thi
Moteurs! (2012, disque bonus)
1- Hôtel pourri (Louis Ville) en duo avec Mell
2- Attends-moi (Richard Rognet / Louis Ville) en duo avec
Marcel Kanche
3- Schyzo (Louis Ville) en duo avec François Pierron
4- De la main gauche (Danielle Messia / Jean Fredenucci)
En conclusion, j'ai juste envie d'emprunter ces mots à un de ses amis, Fab (sur le recueil "Des beaux riens"):
"Un torrent de gré rose roule dans son accent
Sa guitare est taillée dans un sapin ...
Ses chansons ont la force des hivers rudes..."