jeudi 27 décembre 2012

David Fakenahm - One Thing Remains






J'avais découvert David Fakenham un peu par hasard, en 2009, grâce à une chronique de son album "Here And Now" par l'estimable Jacques-Éric Legarde (Xroads #18) qui sortait en l'occurrence quelque peu de son registre habituel, plutôt dédié aux songwriters américains.

Un téléchargement et quelques écoutes plus tard, j'étais moi aussi séduit par cet artiste mystérieux mais dont le nom fleurait bon le pseudonyme, reposant sur un jeu de mots bilingue.


Un dimanche soir à Paris, c'était le 24 janvier 2010, David ouvrait à la Pomme d'Ève pour Bill Morrissey dont ce devait, hélas, être la dernière apparition en nos contrées. Armé de sa guitare en bois, un peu intimidé, le jeune homme nous donna un aperçu de son talent dans un registre de folksinger, reprenant même avec brio "Ring of Fire" de Johnny Cash (composition de June Carter et Merle Kilgore) et démontrant une belle culture musicale, capable de se transformer de touche à tout de studio et de talent en troubadour capable de séduire son public (malheureusement bien trop clairsemé) en face-à-face.


Il y a quelques mois, après un single deux titres simplement intitulé "2 Songs" destiné à faire patienter ses fans, il faisait entendre à quelques privilégiés son nouvel enfant, "One Thing Remains" (doté d'une illustration qui devait évoluer par la suite).



Ce nouvel enregistrement avait encore une fois été réalisé, au départ, selon le principe du DIY. David avait mis en boîte l'essentiel de ses contributions, chez lui, en août 2011. Et puis l'ami Matthieu Malon (Laudanum) était venu avec ses claviers pour enjoliver quelques titres, Pierre Schmitt avait joué quelques parties de basse. Après l'apport des amis et de la famille (Joao Lourenco à l'harmonica, Junior Fakenham à la trompette, Marie Chevalot et Nine Fakenahm aux voix), il ne restait plus qu'à mixer le tout, ce que Patrick Chevalot et David firent en deux fois deux jours en février 2012.

Voilà pour l'histoire du disque qui est, je le proclame, d'une grande qualité, ce que j'ai ressenti dès la première écoute. Il n'est pas facile d'en parler sans s'en être bien imprégné, car c'est un album qui se découvre petit à petit, que l'on ne peut pas se contenter d'entendre distraitement en vaquant à d'autres occupations.

La grande manie des chroniqueurs français, lorsqu'ils écrivent à propos d'un de leurs compatriotes qui s'exprime en Anglais, c'est de vouloir à tout prix faire des comparaisons. J'ai lu ici et là des évocations d'artistes que je connais bien (Byrds, R.E.M., Neil Young) ou beaucoup moins bien, voire très peu (Wilco, Lambchop) et je dois dire que tous ces parallèles ne me semblent justifiés qu'en un point: la qualité, celle des mélodies mais aussi celle du son car on a ici affaire à un "produit" qui ne sent pas du tout le bricolage.

La seule référence que je me permettrai ici est celle du duo franc-comtois Yules avec qui David Fakenham partage une grande culture musicale (l'héritage familial sans doute) et aussi ce goût pour la mélodie et les arrangements toujours justes, jamais surabondants, jamais trop sophistiqués. C'est le travail d'artisans qui remettent l'ouvrage sur le métier jusqu'à être satisfaits du résultat, c'est l'œuvre de musiciens qui aiment la musique, tout simplement.

Pour évoquer plus avant le contenu de "One Thing Remains", je dirai que c'est un disque qui possède une ambiance (mais pas un disque d'ambiance, nuance), qui présente un remarquable équilibre entre les morceaux, parfois d'une sombre beauté, parfois plus légers, mais toujours prenants. Dès "Bones", le titre d'ouverture, on comprend l'esprit dans lequel l'album a été réalisé, comment les instruments se complètent les uns les autres, comment les claviers de Matthieu Malon viennent apporter cette touche supplémentaire qui fait la différence.

Au long des douze plages, l'impression initiale est confortée, tout est juste, tout se met en place petit à petit. C'est comme si David avait réalisé les fondations de l'édifice, posé la première pierre avant que l'ensemble ne se mette à évoluer de lui-même, mû par une énergie propre, entraînant le créateur autant que le créateur ne l'entraîne. David confirme par ailleurs qu'il est un multi-instrumentiste de talent qui se double d'un chanteur inspiré et subtil, tout en délicatesse.

Il y a de vrais moments forts dans cet ensemble finalement homogène et sans point faible. Mes favoris sont "Nina",  une ballade émouvante, pleine d'âme et "You're My Woman", long morceau presque épique porté par une guitare majestueuse. Il y a aussi les titres plus légers (au moins dans les arrangements, mais pas dans la consistance) comme "Beautiful Guitar", l'instrumental "27" ou "One Thing Remains"qui permettent de maintenir une tonalité générale ne basculant pas trop vers le côté sombre.

Je ne peux donc que vous inviter à vous rendre sur le site de David pour tout savoir sur "One Thing Remains", et notamment comment se le procurer (en téléchargement uniquement pour l'instant).

mercredi 26 décembre 2012

Destin tragique (1) - Billy Marlowe



On était en juin 1983 et Steve Satterwhite, ingénieur du son réputé, avait investi ses dernières économies dans son rêve: un studio d'enregistrement équipé d'un Scully 8-pistes, quelque part à East Village, Fourth Street.

Il lui fallait maintenant un artiste à enregistrer. Il passa donc une annonce et, trois jours plus tard, un type à la chevelure abondante, un carnet de notes garni de chansons à la main, poussa la porte.

Son nom était Billy Marlowe. Il avait 40 ans et sa vie n'avait pas été un conte de fées, loin de là. Elle l'avait conduit de l'Oklahoma, où il était né, à San Francisco, à Louisville et Baton Rouge, et même Bruxelles et Amsterdam, sans parler de la case prison où la drogue, l'alcool et, surtout, l'insoumission l'avaient mené.



Steve Satterwhite fut immédiatement convaincu par ce qu'il entendit et fit appel à quelques musiciens talentueux du secteur qui semblaient tous connaître Billy. Le nom le plus célèbre aujourd'hui était celui de Shawn Colvin et (voix) , mais il y avait aussi Stephen Gaboury (claviers), Jeff Golub (guitare), Kenny Kosek (violon), Tony Garnier (basse)… Bref, du beau monde.

Les arrangements, l'enregistrement, tout cela prit plus d'un an. Dix titres furent finalement mis en boîte, des cassettes et quelques 33 tours furent réalisés, sans véritable plan de promotion ou de large diffusion. "Show Me The Steps" était en fait une maquette élaborée, et tout resta en l'état. 


L'époque (encore une fois merci aux modes punk et disco qui ont tué la véritable création) n'était vraiment pas favorable aux poètes songwriters. Billy Marlowe faisait partie des meilleurs, et très peu de gens en prirent conscience. Un quart de siècle plus tard, avec l'évolution de la production indépendante de musique, les choses auraient vraisemblablement été bien différentes.

Billy retourna donc à l'anonymat, composant et chantant ses chansons, continuant à se battre avec la vie, qui lui donna cependant la joie de la paternité (une fille et un garçon), jusqu'à ce jour d'août 1996 où il mourut, à 53 ans.

Steve Satterwhite n'a pas oublié Billy Marlowe. Pas loin de 30 ans après le jour où tout commença, il donne enfin au monde la chance d'entendre "Show Me The Steps". Il serait dommage de s'en priver. De grands, textes, de belles mélodies, une voix qui vous prend dès les premières notes. Le son est assez caractéristique de ce que l'on entendait au début des années 80 et nous laisse le regret de de n'avoir pu feuilleter que le premier chapitre d'un livre qui s'annonçait passionnant.
 

Voici ce qu'à déclaré sa sœur: « Billy était un perpétuel optimiste, contre toute raison; il riait des ironies de la vie et les appréciait, même quand elles ne lui étaient pas favorables.  Il aimait et respectait ses parents; il était infiniment tolérant vis-à-vis des tours que lui jouait la vie; il aimait profondément ses enfants.  Il a vécu une vie difficile. Il était excessivement humble et excessivement talentueux. Quelques heures avant sa mort, il a dit à son fils Marlowe, “j'ai écrit quelques bonnes chansons.  Je suis prêt à partir”. »

Billy Marlowe "Show Me The Steps" - NewTex Records NT6000




John Prine disque à disque - Pink Cadillac (1979)

Disons le tout net, cet album de John Prine ne figure pas parmi ses meilleurs. L'idée était bonne, pourtant: enregistrer dix titres aux légendaires Sun Studios de Sam Phillips. La production fut confiée aux fils de Sam, Knox et Jerry Phillips, Sam prenant lui-même les manettes pour deux titres ("Saigon" & "How Lucky").




Ce qui pêche, en fait, dans cet album, c'est le choix des titres. John Prine, jusque-là, a toujours davantage été un songwriter, interprète de ses propres œuvres, limitant les reprises au strict minimum, alors qu'ici la moitié des titres est empruntée à d'autres.

Bien sûr, le choix des reprises n'est pas forcément mauvais comme en témoignent "This Cold War With You", ballade sentimentale de Floyd Tillman, "Baby Let's Play House", un rock qu'Elvis avait lui-même enregistré dans les studios Sun ou encore "Killing The Blues" de Rolly Salley.


Mais John n'est jamais meilleur que lorsqu'il conte ses propres histoires et, au volant de sa "Pink Cadillac", il semble un peu en dehors, plus spectateur / auditeur qu'acteur / interprète. Il n'est pas véritablement à l'aise non plus (ou est-ce l'auditeur qui n'est pas habitué) avec la formation qui l'accompagne, formatée aux normes des studios Sun des années 50, c'est à dire un groupe de rock: guitare, basse, batterie, claviers (et saxophone).

Cela étant, cet album fait partie intégrante de la discographie de John Prine et, de sa part, un disque moyen reste un bon disque. Et puis, à l'époque où il est sorti, eu égard à la difficulté de trouver ce genre d'album (et même d'être informé de sa simple existence) dans nos provinces reculées, il aurait été inconvenant de bouder son plaisir!



  1- Chinatown (John Prine)
  2- Automobile (John Prine)
  3- Killing the blues (Rolly Salley)
  4- No name girl (Billy Joe Riley / Jack Clement)
  5- Saigon (John Prine / John Burns)
  6- Cold war (This cold war with you) (Floyd Tillman)
  7- Baby let's play house (Arthur Gunter)
  8- Down by the side of the road (John Prine)
  9- How lucky (John Prine)
10- Ubangi stomp (Charles Underwood)

John Prine: Rhythm Acoustic & Electric Guitars, Lead Vocals
Tom Piekarski: Bass
Howard Levy: Keyboards, Harmonica, Saxophone
John Burns: Lead Guitar
Angie Varias: Drums
additional musicians
Jerry Phillips: Rhythm Acoustic Guitar on "Baby Let's Play House", Sandpaper Blocks on "No Name Girl"
Leo LeBlanc: Pedal Steel Guitar on "Ubangi Stomp", "Cold War", "Down By The Side Of The Road"
Billy Lee Riley: Rhythm Acoustic Guitar, Vocal on "No Name Girl"
Phyllis Duncan, Helen Bernard, Beverley White: Vocals on "Killing The Blues", "Down By The Side Of The Road"




vendredi 28 septembre 2012

Un disque, un jour: Jimmie Dale Gilmore "After Awhile" (1991)

Mardi 16 Mars 1993, À la Clé de Sol, Châlons sur Marne

C'était un époque bénie où existaient encore quelques disquaires. En l'occurrence, il s'agissait ici d'un magasin électroménager avec un rayon disques bien achalandé, même si son responsable ne connaissait pas toujours bien ce qu'il vendait (mais les clients le formaient, petit à petit).

Il y avait même une rangée étiquetée "country music" avec principalement ce qui était le plus vendable, donc pas ce que Nashville proposait de mieux. Les maisons de disques, même en France, faisaient quelques efforts pour promouvoir ce genre qui, grâce aux néo-traditionnalistes, retrouvait un certain succès, éphémère. Et puis, de temps en temps, il y a avait un disque qui sortait du lot, parfois peut-être un disque de bluegrass.

Il y avait surtout ce CD qui m'intriguait: "After Awhile" par un certain Jimmie Dale Gilmore dont je n'avais jamais entendu parler. Un disque distribué en France par Elektra Nonesuch dans les American Explorer Series.



Plus d'une fois, je l'avais retourné entre mes mains, lisant les notes, du moins ce qu'un disque scellé pouvait laisser entrevoir. Par chance, le nom des musiciens figurait au dos du boîtier et quelques noms connus comme Stephen Bruton, Tish Hinojosa ou Richard Bowden (tous fleurant bon le Texas), quelques instruments sympathiques (mandolin, fiddle, steel Guitar, dobro) finirent par emporter ma décision. Et puis, autre élément important, le disque avait été enregistré à Austin, Texas, pas à Nashville! Et me voici déballant le précieux objet pour l'insérer dans le lecteur CD de ma voiture; trois quarts d'heure de route pour rentrer du boulot, c'était la durée idéale.

Le premier effet fut la surprise en entendant la voix de ténor, haut perchée, nasillarde. Très country mais aussi très originale, elle aurait pu faire office de repoussoir. Et puis il y avait les mélodies, les rythmes, souvent de ces valses que les Texans adorent, une instrumentation hors pair... Bref, avant d'arriver, j'étais conquis.





Le soir, je parcourus avidement le livret avec cinq pages traçant la biographie de Jimmie Dale Gilmore. C'est ainsi que j'appris la brève existence, vingt ans auparavant, de son groupe, The Flatlanders, avec Butch Hancock et Joe Ely. Les Flatlanders renaitront par la suite, mais c'est une autre histoire. Ce qui est certain, c'est que ce disque, "After Awhile", m' aouvert des portes qui ne se sont jamais refermées...

Liste des titres:
  1- Tonight I Think I'm Gonna Go Downtown (Jimmie Dale Gilmore / John Reed)
  2- My Mind's Got A mind Of Its Own (Butch Hancock)
  3- Treat Me Like A Saturday Night (Jimmie Dale Gilmore)
  4- Chase The Wind (Jimmie Dale Gilmore)
  5- Go To Sleep Alone (Jimmie Dale Gilmore)
  6- "After Awhile" (Jimmie Dale Gilmore)
  7- Number 16 (Jimmie Dale Gilmore)
  8- Don't Be A Stranger To Your Heart (Jimmie Dale Gilmore / Rick Smith / David Hammond)
  9- Blue Moon Waltz (Jimmie Dale Gilmore)
10- These Blues (Jimmie Dale Gilmore)
11- Midnight Train (Jimmie Dale Gilmore)
12- Story Of You (Jimmie Dale Gilmore)

Musiciens et chanteurs:
Jimmie Dale Gilmore / Stephen Bruton / Wes Starr / Keith Carper / James Pennebaker / Ponty Bone / Richard Bowden / Bill Ginn / Paul Glasse / Butch Hancock / Tish Hinojosa / Teddy Roddy / Jesse Taylor / Steve Williams

Discographie de Jmmie Dale Gilmore:

- En solo:
"Fair & Square" (1988)
"Jimmie Dale Gilmore" (1989)
"After Awhile" (1991)
"Spinning Around The Sun" (1993)
"Braver Newer World" (1996)
"One Endless Night" (2000)
"Come On Back" (2005)
"Heirloom Music" by The Wronglers with Jimmie Dale Gilmore (2011)

- Avec The Flatlanders:
"The Odessa Tapes" (2012, enregistré en 1972)
"All American Music" (publié en 1972 sous forme de cartouche 8 pistes, réédité par la suite sous divers titres comme "Unplugged" ou "More A Legend Than A Band")
"Live At One Nite, Austin TX" (2004, enregistré en public en 1972)
"Now Again" (2002)
"Wheels Of Fortune" (2004)
"Hills And Valleys" (2009)

- Avec Butch Hancock:
"Two Roads" (1990, enregistré en public en Australie)

mardi 18 septembre 2012

Louis Ville, en toute simplicité



Sur les pas de Louis Ville

Louis Ville, pour moi, c'est d'abord l'histoire d'une rencontre qui n'aurait jamais dû se produire. D'un côté, il y a le responsable de ces lignes: Sam Pierre (un pseudo), amateur de musiques américaines, fan de folk et de bluegrass, pour qui la chanson française se résume essentiellement à quelques grands noms, de Georges Brassens à Michel Jonasz, de Léo Ferré à Renaud, de Jacques Brel à Alain Souchon, de François Béranger à Richard Gilly. De l'autre, Louis Ville (un pseudo), auteur-compositeur-interprète d'origine vosgienne, totalement inconnu de ma personne et qui a pourtant déjà publié quatre CD (je ne l'ai appris qu'ensuite) et décrit par la presse comme un Arno français avec un côté Léo Ferré et quelques autres références. Rien de rédhibitoire pour moi, bien au contraire, mais à quoi bon s'intéresser aux copies quand on peut écouter tranquillement les originaux dans le confort de son salon, devant une bière ou un Perrier selon ses goûts.

Mais voilà, il y a Bar le Duc, charmante préfecture du vert département de la Meuse, qui organise chaque été les Dimanches du Parc dans les jardins de son hôtel de ville. Des concerts en plein air (gratuits) qui permettent d'entendre des artistes régionaux mais aussi d'autres à la renommée nationale ou même internationale. En ce dimanche 7 août 2011, Louis Ville était l'invité principal, précédé de Christophe Freyssac. Pas suffisant encore pour me motiver mais un élément important est venu emporter la décision: le soleil! Il faisait beau, sans quoi Louis me serait sans doute resté inconnu pour longtemps.

Une première partie agréable, et voici Louis Ville sur scène, dans ce kiosque à musique qui surplombe les chaises installées devant lui. Un grand escogriffe aux pieds nus, mélange de timidité et d'assurance mais qui, dès les premiers mots, dès les premières notes, dégage quelque chose de rare. Un côté authentique, une gentillesse un peu bourrue qui entraîne immédiatement la sympathie. C'est sans doute ce qu'on appelle le charisme. Le concert démarre, les titres s'enchainent, et l'impression initiale ne se dément jamais. Je cherche les références, forcément, je ne connais pas l'artiste! Arno? Ferré? Bien sûr, il reprend "Vingt Ans", mais à sa manière. Tout au plus, dans la construction de pas mal de chansons, je pense à Brel, pour l'utilisation du crescendo qui est une des marques de fabrique du grand Jacques. En fait, j'entends surtout un artiste original, aux textes très personnels. Les mots sont parfois très crus mais sans jamais tomber dans la vulgarité. L'humour est parfois délirant, parfois cruel mais la tendresse n'est jamais bien loin. Des titres découverts ce jour-là se sont gravés en moi, dès la première écoute: "Cruelle", "Marcello", "Le chanteur", "Sans rien dire", "Aime-moi"… Une corde casse, Christophe Freyssac prête sa guitare le temps de procéder à la réparation. Et quand il revient, Louis se fend d'un commentaire humble et admiratif devant la rapidité de l'opération. Le public, pas forcément fait seulement de connaisseurs, est "dans sa poche".


Et c'est déjà la fin du spectacle avec comme le vague regret de ne pas être allé rencontrer l'artiste, de ne pas être allé acheter "Cinémas", son plus récent CD. Mais il y a, et c'est un sentiment fort, la conscience d'avoir assisté à un vrai beau moment, d'avoir découvert un chanteur talentueux et authentique mais, avant tout humain. Une porte s'est refermée, c'est du moins ce que je crois.

En effet, quelques jours plus tard, dans un espace commercial à vocation culturelle au centre de la capitale de la Champagne (aujourd'hui hélas fermé), où je vais fréquemment flâner après ma matinée de travail, j'ai la bonne surprise de découvrir "Cinémas" et, cette fois, je n'hésite pas. J'éprouve bien sûr l'appréhension de ne pas retrouver sur CD la magie du concert, où Louis était seul avec sa guitare. Sur le disque, peu de monde, mais une variété d'instruments assez grande, Louis en assurant lui-même une grande partie. Le son est différent, mais le charme opère néanmoins: Louis Ville est vraiment entré dans ma vie musicale, et l'envie d'en découvrir plus est là.

Facebook et le hasard font le reste et ce grand réseau pas toujours social joue en l'occurrence pleinement son rôle. Il permet de belles rencontres, des échanges sur des passions communes. Et puis il permettra vite à Louis Ville de faire savoir que ses trois premiers albums étaient réédités, et à moi de les acheter, puis de constater sa gentillesse et sa disponibilité quand je lui demanderai quelques informations sur lesdits albums.


En plus des CD, il y a de "De beaux riens", un recueil de textes paru aux éditions Strapontin{s}. Un beau petit livre, bien illustré, avec quelques lignes d'amis qui en révèlent beaucoup sur le personnage et, entre les lignes, plus encore sur l'homme qui se cache derrière l'artiste.

Quelques mois passent. J'ai quelques échanges avec Louis. J'aimerais parler de lui sur mon blog, de son dernier disque, à l'occasion de sa réédition ("Cinémas", augmenté de "Moteur!", un disque bonus). Le principe d'une interview est posé. Facebook toujours, Louis annonce ses concerts à venir et, ô surprise, je vois au programme un "Chant' Appart" programmé le samedi 16 juin 2012, à quelques dizaines de mètres de l'endroit où je passe mes weekends. Il s'agit en fait d'un concert à la maison (les house concerts sont très prisés des artistes folk anglo-saxons mais moins répandus par ici) organisé par et chez des amis de Louis Ville. Nous décidons de nous rencontrer un peu avant afin d'échanger, de mieux faire connaissance. Et je bénéficie par la-même d'une invitation pour le show.

Louis n'est pas seul. Il y a Yvanna. Et rien qu'aux regards qu'ils portent l'un sur l'autre, je comprends l'importance de cette présence. L'interview commence et devient vite une conversation à bâtons rompus avec un vague fil conducteur, sans magnéto, juste quelques notes.

Louis parle de son enfance vosgienne, près de Remiremont, la cité des Abbesses, dans une famille de cinq enfants, de ses parents qui lui ont appris la tolérance, l'ouverture et qui ont permis son émancipation rapide. À 17 ans, Louis (qui ne s'appelle pas encore ainsi) quitte la maison pour découvrir le monde, avec une guitare payée par un premier job d'été. Il prend le chemin de Paris puis des Alpes, va de petit boulot en petit boulot.

Louis avait commencé en musique avec la trompette d'harmonie. Son adolescence avait été bercée par les Stooges, David Bowie, les Rolling Stones. Pur autodidacte, il avait commencé à 12 ou 13 ans dans ses premiers orchestres de rock garage. Et puis ce fut un groupe de jazz-rock, nécessitant beaucoup de travail (le travail bien fait, encore une valeur héritée de ses parents), et la vague punk.

Arrive ensuite la période Do It, vers la fin des années 80, un groupe de rock british influencé par le mouvement punk mais, surtout, par le Dr. Feelgood de Wilko Johnson et Lee Brilleaux. Quelques années plus tard, Louis commence à écrire en français et se juge lui-même, en ce domaine, "honorable". Il envisage alors de tenter l'aventure en solo, afin d'explorer de nouveaux territoires plus personnels, et aussi d'éviter les problèmes d'égo qui ne manquent jamais de survenir au sein d'un groupe qui dure. Le virage est donc pris, définitivement, vers la fin du deuxième millénaire, avec la parution de l'album "Hôtel pourri".

Je demande à Louis quelles sont ses influences. Le rock, bien sûr, Jacques Brel, Léo Ferré mais aussi, de manière plus surprenante, Marianne Oswald, chanteuse et actrice née en Moselle (alors allemande), qui a eu son heure de gloire, comme chanteuse, avant la deuxième guerre mondiale, chantant notamment des textes de Jacques Prévert. Louis a repris un de ses succès "La chanson de Kesoubah", écrit par jean Tranchant, sur son album "À choisir" en 2006.

Ce qui est certain, c'est que ces influences ont réussi à se fondre pour créer une personnalité unique. Pour ma part, si l'on excepte le crescendo "brélien" qui m'avait frappé en concert, je ne sens aucun tic piqué à un autre artiste. Et Louis est conscient de parfois abuser du crescendo et cherche à lutter contre cette tendance (qui est plus marquée quand il est en concert, seul avec sa guitare). Je retrouve cependant en lui quelque chose du grand François Béranger, cette sincérité d'écorché vif, cette capacité à faire se rejoindre le rock et la chanson réaliste.

Autre question: comment se faire connaître sans renier ses valeurs à une époque où cela n'est pas facile? Peut-on encore vivre de son art? Pour Louis, il y a d'abord la scène: 80 concerts par an, dans un périmètre qui s'élargit: Paris, la Provence, Toulouse, l'Allemagne… Des fidèles qui propagent le message par le bouche à oreille. Et puis du culot, de l'ambition, une capacité à conjuguer passion et talent. La radio et la TV chaque fois que c'est possible. Des coups de main, comme ceux que lui a donnés Jean-Louis Foulquier qui a cru en lui dès le début. Et internet, formidable fenêtre ouverte sur un monde qui sommeille et ne demande qu'à s'éveiller pour peu que ce qu'on lui propose en vaille la peine. Quant à la presse écrite nationale, petit à petit, elle est séduite par notre ami et, dans la quasi-totalité des cas, élogieuse.

L'artiste qui galère pendant des années pour vivre de ce qu'il aime ne peut pas y parvenir seul. Pour Louis, il y a eu la rencontre avec Yvanna, qui croit en lui plus encore qu'il ne croit en lui-même. Une véritable complémentarité s'est instaurée entre eux, permettant à l'auteur-compositeur-interprète de se concentrer sur son art, sans se soucier des aspects matériels, de la promotion et de toutes ces choses qui dévorent l'énergie. Louis a retrouvé une véritable confiance, celle qu'Yvanna a en lui et qu'elle lui a transmise. Une heure avec ces deux-là, à observer, sans pour autant échanger beaucoup de mots, permet de comprendre tellement de choses. Yvanna, c'est aussi elle qui est à l'origine des clips (et du concept des disques "Cinémas" et "Moteur!"), si bien mis en scène et si bien réalisés, qui nous régalent sur la toile. Une bien belle cohérence dans cette démarche.

Sur sa discographie (détaillée plus bas), Louis Ville dit ne rien regretter, n'avoir honte de rien. En un peu plus d'une décennie, il y a eu une évolution, une maturation. Depuis "Hôtel pourri", les révoltes se sont apaisées. Il y a eu un cheminement, la vie n'est plus vue de la même façon. Louis Ville dit: "J'observe mon âme". Sa principale source d'inspiration est l'être humain: les amours, la bêtise humaine, les méandres, les travers de nos congénères, et de nous-mêmes. Il ne se considère pas comme un poète. Il aime le travail bien fait, celui d'un artisan, à la manière d'un Brassens, sans pour autant s'interdire les fulgurances poétiques, fussent-elles malhabiles, qui le rapprocheraient plus d'un Brel ou d'un Ferré. La sincérité, l'authenticité, resteront toujours pour lui des valeurs fondamentales, le socle sur lequel son œuvre se construira. Sur l'aspect musical, Louis se défend d'être un virtuose de la guitare comme l'ont écrit certains. Il a (bien) digéré des influences diverses pour forger une personnalité unique. "Ils se trompent, je fais ce que j'ai envie d'entendre", conclut-il, en résumé.

Une observation personnelle: peu après l'entretien et le concert "Chant' Appart", un déplacement professionnel assez long m'a permis d'écouter en roulant la quasi-totalité (dans l'ordre) des titres publiés par Louis Ville. Petit à petit j'ai été frappé par l'étonnante unité de l'ensemble. Des titres différents en apparence, avec des orchestrations variées, reposent sur quelque chose de commun qui apparaît d'abord comme quelque chose d'un peu bancal, une petite musique intérieure, un rythme souvent marqué par des percussions ou des cordes de guitare qui claquent et qui, en fait, constituent ce que j'appellerai le style Louis Ville, qui fait de lui quelqu'un de véritablement unique, car c'est le style qui fait l'artiste.


Sur la réédition de "Cinémas", le disque bonus était-il juste un coup commercial? "Non", se défendent en chœur Yvanna et Louis, "le disque étant épuisé, nous avons eu envie d'offrir quelque chose de plus". Ce quelque chose, c'est trois titres en duo avec des amis (Mell, François Pierron, Marcel Kanche) ainsi qu'un titre de et en hommage à la trop jeune disparue Danielle Messia. C'est en fait vraiment un cadeau, aussi bien pour les amis musiciens que pour les admirateurs.

Pour la scène, Louis Ville a envie de sortir de la formule solo, trop limitée, et de faire le maximun de concerts en formule trio (avec Mell à la batterie et François Pierron à la contrebasse). Quant au prochain album, il est à l'écriture et espéré pour le printemps 2013.

Bientôt, c'est l'heure du "concert à la maison", chez Dominique et Corinne que je ne remercierai jamais assez de nous avoir invités pour ce qui était une fête familiale et amicale. La météo étant cette fois défavorable, le garage se transforma en salle de concert. Après tout, c'était un retour aux sources pour Louis… En tout cas, ce fut pour la vingtaine de personnes présentes un bien beau moment de musique et de chaleur humaine, et Louis donna encore beaucoup de lui-même, avec son talent, et ce trac perceptible qui l'aide à se magnifier. Même en terrain conquis, il n'envisage pas de ne pas donner le meilleur de lui-même. Bien sûr, ce fut trop court. Mais un tel cadeau, c'est forcément un grand souvenir.


Titres chantés par Louis Ville  à Chant' Appart, le 16 juin 2012
Cruelle
Il y a toi
Claudia
L'amour
Ne te retourne pas
L'Égyptienne
Et un
Épousez-moi
Hôtel pourri
De beaux rien
L'étincelle
Mr. Follow
Embrasse-moi
Y'en a marre
Le chanteur
Marcello
À choisir
Les ours
On maquille tout
L'amour (encore)

Discographie


Hôtel pourri (1999)
  1- T'as qu'à venir (Louis Ville)
  2- Hôtel pourri (Louis Ville)
  3- Fantasmes (Louis Ville)
  4- Schyzo (Louis Ville)
  5- Merde (Louis Ville)
  6- Le temps (Louis Ville)
  7- Leçon de choses (Louis Ville)
  8- Fantôme (Louis Ville)
  9- Sister (Louis Ville)
10- C... n'aime pas les dimanches (Louis Ville)
11- Kiki (Louis Ville)
12- Last one (Louis Ville)
      Les Amants de St Jean (León Angel / Émile Carrara)
Avec Patrice Hue / Daniel Hue / Élizabeth Schaffer


Une goutte (2003)
  1- Aime-moi (Louis Ville)
  2- La lune (Louis Ville)
  3- Aujourd'hui (Louis Ville)
  4- Dis-le moi (Louis Ville)
  5- Pour tout ça (Louis Ville)
  6- Du bruit (Louis Ville)
  7- Et un (Louis Ville)
  8- Sa voix (Louis Ville)
  9- Cruelle (Louis Ville)
10- BBB ta femme (Louis Ville)
11- Une goutte (Louis Ville)
12- Comme chaque fois (Louis Ville)
13- La dernière fois (Louis Ville)
14- Ploc Ploc (Louis Ville)
Avec Patrice Hue / Sylvain Legros


À choisir (2007)
  1- L'amour (Louis Ville)
  2- Sentimentale (Louis Ville)
  3- Y'en a marre (Léo Ferré)
  4- La complainte de Kesoubah (Jean Tranchant)
  5- A choisir (Louis Ville)
  6- Loli (Wilfried de Paris / Louis Ville)
  7- L'etincelle (Louis Ville)
  8- Attends-moi (Richard Rognet / Louis Ville)
  9- Les ours (Louis Ville)
10- Il le sait (Louis Ville)
11- L'ange (Louis Ville)
12- Nicolas (Louis Ville)
Avec Sylvain Legros / Patrice Hue / François Pierron / Daniel Hue / Pierrot Moïoli / Bédette Ladener


Cinémas (2011)
  1- Ne te retourne pas (Louis Ville)
  2- Il y a toi (Louis Ville)
  3- Cruelle (Louis Ville)
  4- Sans rien dire (Louis Ville)
  5- De beaux riens (Louis Ville)
  6- Embrasse-moi (Louis Ville)
  7- Épousez-moi 1 (Louis Ville)
  8- Épousez-moi 2 (Louis Ville)
  9- 20 ans (Léo Ferré)
10- Marcello (Louis Ville)
11- L'Égyptienne (Louis Ville)
12- Tes yeux (Louis Ville)
13- Le chanteur (Louis Ville)
Avec Albert Boutilier / Patrice Hue / Ree Dong Thi


Moteurs! (2012, disque bonus)
1- Hôtel pourri (Louis Ville) en duo avec Mell
2- Attends-moi (Richard Rognet / Louis Ville) en duo avec Marcel Kanche
3- Schyzo (Louis Ville) en duo avec François Pierron
4- De la main gauche (Danielle Messia / Jean Fredenucci)

En conclusion, j'ai juste envie d'emprunter ces mots à un de ses amis, Fab (sur le recueil "Des beaux riens"):
"Un torrent de gré rose roule dans son accent
Sa guitare est taillée dans un sapin ...
Ses chansons ont la force des hivers rudes..."