lundi 29 décembre 2008

The Grascals - Keep On Walkin'

Depuis que j'ai réeelement découvert le bluegrass, vers le début des années 70, je prête une oreille attentive à tout ce qui se peut se faire en la matière. Mais il n'est pas toujours facile de faire le tri. J'ai personnellement commencé à explorer le genre à partir de groupes que cette musique avait influencés comme les Byrds ou les Flying Burrito Bros. C'est donc tout naturellement que les Dillards ou les Kentucky Colonels ont fait irruption dans mon univers avant que je ne découvre les pères du genre au premier rang desquels figure Bill Monroe.

Depuis, ce sont des dizaines de formations, à géométrie souvent variable, que j'ai pu entendre. Entre les virtuoses dont la performance est souvent plus sportive que musicale, les tenants du newgrass plus proches du jazz que de la country music, les traditionalistes et les modernistes, il est souvent difficile de faire son choix. Je privilégie personnellement les groupes ou artistes qui n'oublient pas les mélodies, qui ne cherchent pas la virtuosité inutile, et pour qui les harmonies vocales sont importantes.

Les Grascals font partie de ceux qui répondent à ces différents critères.







Cette chronique est parue dans Xroads #12.



THE GRASCALS ****
Keep on Walkin'
Rounder Records
Mayberry Bluegrass

Dans un genre qui a du mal à se faire entendre en France, les Grascals peuvent constituer une bonne porte d'entrée. Pas rééllement Newgrass, loin des Punch Brothers et leurs longues suites expérimentales, ils savent allier modernisme et tradition d'une manière particulièrement talentueuse. Terry Eldredge et Jamie Johnson (guitares), Danny Roberts (mandoline), Terry Smith (basse), Jimmy Mattingly (fiddle, remplacé depuis par Jeremy Abshire) et Aaron McDaris (banjo, qui a remplacé David Talbot) publient leur troisième album, 2 ans après Long List Of Heartaches. Sponsorisés par Mayberry's Finest, une chaîne de produits alimentaires (c'est de plus en plus courant dans la nébuleuse country aux USA), les 2 Terry et Jamie harmonisent à la perfection, avec pour seul renfort vocal extérieur Vince Gill qui vient prêter son ténor sur "Sad Wind Sighs". Le disque s'ouvre par "Still Feelin' Blue" qui évoque les grandes heures de Bill Monroe, mais très vite, on sent des influences qui viennent autant de la country music que du bluegrass, comme chez J.D. Crowe & The New South. Cela est particulièrement notable avec "Choices" (dont on connaissait déjà la version de George Jones), puis avec le standard larmoyant de Merle Haggard "Today I Started Loving You Again" ou le classique country-rock de Waylon "The Only Daddy That'll Walk The Line". Flatt & Scruggs sont également représentés avec "Rollin' In My Sweet Baby's Arms". Deux titres sont dus à la plume de l'un des plus fins compositeurs du genre, Harley Allen, fils de Red (ex-compagnon des Osborne Brothers puis de J.D. Crowe) et trois à celle de Aubrey Holt (des Boys From Indiana et des Wildwood Valley Boys).L'album se clôt par le gospel "Farther Along" dans l'une des plus émouvantes interprétations d'un titre que l'on croyait pourtant avoir déjà trop entendu. Un disque pour tous les amateurs de bluegrass. Et pour les autres, qui le deviendront.

À classer entre No Turning Back de Lonesome River Band (qui vient de paraître) et Lefty's Old Guitar de J.D. Crowe mais, d'abord, à écouter sans modération.

mercredi 17 décembre 2008

David Kleiner - The News That's Fit To Sing

Comme Dave Hamilton, j'ai découvert David Kleiner, "Folk Singer-Songwriter", "Songwriting Teacher" et "Freelance Writer" par un téléchargement chez DigStation. Le titre a attiré mon attention et m'a fait penser à Phil Ochs. Et c'était totalement voulu!


La preuve?





Cette chronique est parue dans Xroads #12

DAVID KLEINER *****
The News That’s Fit To Sing
(David Kleiner / CD Baby)
Kleiner is great

Ce disque est le genre de surprise qui se produit trop rarement, un véritable coup de cœur. Un nom inconnu (il y a un autre Dave Kleiner qui chante avec son épouse Liz Pagan) mais un titre familier et même une photo démarquée de celle qui ornait All The News That’s Fit To Sing de Phil Ochs. La référence n'est pas fortuite. David Kleiner (par ailleurs un homme d'une rare gentillesse) a enseigné pendant 12 ans le songwriting (University of Virginia’s Young Writers Workshop), a chroniqué des disques (Minor7th.com) tout en se produisant comme artiste en Pennsylvanie et ailleurs. Il veut ici rendre un hommage affectueux aux disques des singers / songwriters des sixties et plus particulièrement à Phil Ochs. L'objet, en lui-même, relève d'un concept original (et réussi). 15 titres qui sont autant d'articles d'un journal, présentés par rubrique. Le livret (qui lui vaut la cinquième étoile) est un fac similé de ce journal qui nous redonne le plaisir trop rare de lire et d'écouter en même temps, comme au temps heureux des 33 tours. Kleiner en est à sa troisième production indépendante. La précédente, This Human Heart, était centrée sur l'amour et les relations humaines. Ici, tous les thèmes sont abordés, avec un talent dont chaque écoute révèle la subtilité. "That's Why I Fight", inspiré par des blogs, laisse la parole aux soldats engagés dans des conflits tandis que "To Kill In My Name" évoque le peine de mort. "Jack Hardy's Brother" est basé sur une interview du méconnu songwriter dont le frère Jeff (également son bassiste) a péri le 11 septembre 2001 dans l'une des twin towers. D'autres sujets sont traités comme le sport avec "Rooting For A Loser", la rubrique nécrologique ("The Anniversary Of My Death") ou les faits divers ("Massacre On Lex Street"). Et le disque se referme avec "Phil Ochs As I Knew Him" qui est l'hommage rendu par David à son "high school hero". Musicalement, ce disque n'est pas une copie de ce qui se faisait en 1965. Dès le premier morceau, la flûte de Jeff Levin (venu du jazz) peut dérouter. Mais l'esprit reste folk, dominé par la guitare acousique de David et les percussions de Cheryl Prasher. Et il y a les harmonies de Jen Schonwald (Angel Band) et, ça et là, un dobro, des harmonicas, un banjo ou un violon. Et surtout, ce disque se livre petit à petit, avec pudeur, s'insinue en vous, écoute après écoute, pour ne plus vous quitter.

À classer entre All The News That’s Fit To Sing et les disques de Jack Hardy, mais pour moi, ce ne sera pas avant longtemps.

David m'a confié par mail que j'avais été son premier acheteur français. Depuis, tout en soutenant activement la campagne de Barrack Obama, il a poursuivi son petit bonhomme de chemin, se produisant un peu plus souvent sur scène, bénéficiant de passages radio chez lui mais aussi aux Pays-Bas ou en Allemagne. Son disque a également été chroniqué par un autre magazine français, l'excellent "Cri du Coyote".



lundi 15 décembre 2008

Dave Hamilton - Back Roads Of My Mind

Voici typiquement le genre d'artiste sorti de nulle part qui, au hasard de la navigation sur le web, attire mon attention. Il s'appelle Dave Hamilton et n'est pas photographe (du moins à titre professionnel).




Cette chronique est parue dans Xroads #12.


DAVE HAMILTON ***
Back Roads Of My Mind
(Dave Hamilton / CD Baby - http://www.cdbaby.com/)
Y'a pas photo

J'ai rencontré Dave Hamilton, sur un site de téléchargement, par le hasard d'une courte bio où figurait un nom qui pour moi est un sésame: John Prine était cité parmi les influences principales (aux côtés de Bob Dylan ou Hank Williams). Autre information précieuse "Back Roads Of My Mind" comporte 20 titres dont 9 reprises, 1 traditionnel et 10 compositions de Dave. Et la liste acheva de me convaincre... Dave Hamilton est un respectable Monsieur à cheveux (et moustache) gris. Sérieux aussi: il est titulaire d'un "college degree" en histoire, spécialisé dans l'ouest américain. C'est pourtant un saltimbanque, depuis près de 30 ans. Laissons-le se présenter lui-même: (remerciant un ami) "... Il m'a donné des leçons de guitare à la fin des années 70. Il a eu l'audace de me forcer à monter sur scène et jouer devant un public lors d'un "open mic" en 1979. J'étais terrifié à mort, tremblant, transpirant, mon coeur battait à 200 pulsations à la minute, mes yeux bougeaient à toute allure d'un côté à l'autre, mais je l'ai fait. J'ai eu un excellent accueil et, depuis, je joue, soit en solo, soit au sein du "Sonoma Mountain Band" dont je suis l'un les membres fondateurs". Le résultat de ces 29 années est donc "Back Roads Of My Mind". La liste des reprises révèle le bon goût de l'artiste. "Tomorrow Is A Long Time" de Bob Dylan; "If You Were A Bluebird" de Butch Hancock (chanté aussi par Emmylou Harris); "Nothing But A Breeze" de Jesse Winchester; "Last Train From Poor Valley" de Norman Blake qui est l'un des classiques du groupe de bluegrass Seldom Scene featuring John Starling; "Streets of London" de Ralph McTell; "Spoon River" de Mike Smith, rendu célèbre par Steve Goodman; "The Hobo Song" de John Prine, titre qui pourrait appartenir au répertoire de Woody Guthrie ou Pete Seeger; "Way Over Yonder In The Minor Key", un texte de Woody Guthrie mis en musique par Billy Bragg; "Roseville Fair" de Bill Staines. La liste est belle, l'interprétation ne l'est pas moins, avec la voix chaude et la guitare de Dave dont les compositions s'accomodent très bien de cette prestigieuse compagnie. Du morceau-titre qui ouvre l'album à "Something I'd Really Like To Lose", en passant par "Vacation", "Jim Bridger" ou "In Her Memory", ce n'est que du haut niveau. Des mélodies et des cordes qui chantent. Et des textes de grande qualité. Sur ce disque, Dave chante (bien), d'une voix vite familière, joue de la guitare et du banjo. Il est accompagné de John Karsemeyer (banjo et mandoline), Alice Fitzwater (au fiddle omniprésent), Blair Hardman (basse, percussion, clavier) et Gailene Grillo (harmonies vocales). Aucun de ces noms n'est connu mais le CD, entre folk et bluegrass, procure 78 minutes de plaisir immédiat et renouvelé.

À écouter au coin du feu, cet hiver, et à ranger pas loin des modèles ni du "Comedians & Angels" de Tom Paxton.

Quelques mois après, je n'ai pas changé d'avis. Il s'agit d'un disque sans prétention, enregistré pour le plaisir, un plaisir partagé. Les reprises sont bien choisies et l'équilibre avec les compositions personnelles est réussi. Il reste à savoir si ce bel essai sera transformé car David a l'intention de publier un nouvel album en 2009.


Est-ce le fruit du hasard? Une ressemblance troublante existe avec un des meilleurs disques de ces dernières années. Je viens seulement de m'en rendre compte:


dimanche 14 décembre 2008

Sammy Walker - Misfit Scarecrow



Cette chronique, parue dans Xroads #10, j'aurais aimé l'écrire Mais c'est Jacques-Eric Legarde qui l'a fait. Je ne lui en veux pas, pour 2 raisons: d'abord, il a attribué 5 étoiles à l'album; ensuite, je ne collaborais pas encore à mon magazine préféré (j'ai commencé avec le spécial "Génération Folkeuses" puis avec le n°12).

C'est donc un album qui est arrivé trop tôt! Trop tôt? Façon d'écrire car le dernier disque de Sammy, "Old Time Southern Dream" remonte quand même à 1994. Et puis notre homme n'en est qu'à 7 disques au compteur dont un live et un "tribute" à Woody Guthrie, il ne nous a donc pas submergé de sa production:
"Song For Patty" (1975)
"Sammy Walker" (1976)
"Blue Ridge Mountain Skyline" (1977)
"Songs From Woody's Pen" (1979)
"In Concert" (1990 - live en Italie)
"Old Time Southern Dream" (1994)
"Misfit Scarecrow" (2008)
C'est sans doute pour cela que l'album dure 68 minutes. Pour moi, il aurait pu durer 2 heures. Pour la critique américaine, il aurait dû être plus court. C'est peut-être vrai, Sammy le reconnaît lui-même. Mais il me faut plus d'une heure pour me me lasser d'un ami de 30 ans, surtout quand il me rend si rarement visite.
Quoi qu'il en soit, ce disque est un vrai trésor. Si l'on excepte quelques intervention de Tony Williamson à la mandoline, il n'y que Sammy, sa voix et sa guitare, ici un banjo, là une basse et puis, grande nouveauté, un piano. Car Sammy, né dans une famille qui aime la musique, a appris cet instrument dès son plus jeune âge. Et deux titres superbes, "If Jesus Don't Show" et "Song For Jessie" démontrent son talent devant un clavier.
Mais le principal argument de Mr. Walker, c'est sa voix. Celle d'un folksinger des années 60 (au hasard: un jeune Dylan?), toujours pleine d'émotion. Ajoutez-y un sens de la mélodie jamais pris en défaut et vous obtiendrez un album dont vous ne pourrez plus vous passer pour peu que vous aimiez le genre.
Bien sûr, ce n'est pas un disque moderne: Sammy Walker n'est pas à la mode. Il ne sera jamais à la mode, restant toujours ce "misfit" n'appartenant à aucune mode, à aucun courant. Bien sûr, les thèmes abordés, pas forcément originaux, vous inciteront plus à la mélancolie qu'à la gaudriole. Mais c'est le genre de disque que j'avais envie d'entendre, "un mélange de nouvelles chansons, de quelques anciennes, et de quelques-unes entre les deux". C'est le disque que Dolphus Ramseur de Ramseur Records lui a donné l'opportunité d'enregistrer.
Personnellement, j'ai du mal à entendre "Proud and Poor" ou "Homer Byron McGuthrie" sans être profondément touché parce que ces titres me rappellent des personnes chères à mon coeur. Je pourrais d'ailleurs citer les 16 titres car aucun ne me laisse indifférent, pour toutes les bonnes raisons.
Et j'attends déjà le prochain disque! Mais avant 2022, s'il vous plaît, Sammy.

samedi 13 décembre 2008

Rodney Crowell - Sex & Gasoline (Xroads #12)


RODNEY CROWELL ****
Sex & Gasoline
(Yep Roc Records)
Joe Henry strikes again




L'un des plus talentueux des songwriters country modernes, Rodney Crowell n'a sans doute pas eu, en qualité d'interprète, la reconnaissance que son œuvre mérite. Pourtant, de "Ain't Living Long Like This" (en 1978) à "The Outsider" (en 2005) en passant par la réjouissante digression des Notorious Cherry Bombs, il n'a pas commis un mauvais album. Et il a composé nombre de superbes chansons, reprises par les plus grands, depuis sa collaboration avec Emmylou. "Til I Gain Control Again", en particulier, qui fait partie, à jamais, de mon top personnel. Pour ce nouvel opus (le 13ème), Rodney a fait appel à l'omniprésent Joe Henry (qui vient pousser le duo sur "I've Done Everything I Can"), accompagné de toute son équipe: Greg Leisz, David Piltch, Patrick Warren, Jay Bellerose, Doyle Bramhall. Sex & Gasoline est une collection de chansons sur les femmes (amantes, filles, amies, madonnes et prostituées), la plupart du temps du point de vue – supposé – d'une femme. Pas de point faible dans ce disque: le songwriting est toujours au plus haut niveau, le propos est dense, l'interprétation impeccable, comme la production. Mais il manque l'étincelle qui a fait d'un album comme "Diamonds & Dirt" quelque chose d'exceptionnel. Il manque le titre qu'on a immédiatement envie de fredonner, que l'on garde en tête pendant des heures (dans "Diamonds & Dirt", il y en avait au moins cinq). Le son est plus blues-rock que par le passé ("Sex & Gasoline", "Who Do You Trust"), pas loin d'un Dylan des dernières années (c'est encore plus net dans "Funky And The Farm Boy"). Disque sérieux souvent, sombre parfois, poétique toujours, "Sex & Gasoline" s'achève par un "Closer To Heaven" de grande facture, dont le crescendo, orné de chœurs gospel, donne envie d'appuyer sur la touche "repeat".

À réécouter souvent, avant de se faire une opinion définitive et à classer plus près de "Love & Theft" que de "Diamonds & Dirt".

Sam Pierre

Les chroniques de Sam Pierre


Il ne sera ici question que de musique.


Ce sera l'occasion de mettre en ligne les chroniques publiées sous mon nom dans Xroads (de les compléter éventuellement) mais aussi celles que j'aurais aimé écrire si quelqu'un d'autre ne l'avait pas fait avant moi, ou si j'avais collaboré à ce magazine plus tôt.


Et il y aura aussi celles que je n'ai pas (n'aurais pas) osé écrire...